Danaé ou l’histoire de la fécondité

Danaé est une huile sur toile de petite dimension : 73 x 88 cm, présentée à la Kunstschau en 1908, exposition pire du mouvement moderniste viennois. Après son œuvre Le Baiser qui lui a fait connaître l’apogée , Gustave Klimt a peint l’extase amoureuse dans cette toile. Elle représente une des peintures à l’huile les plus érotiques.

Les femmes sont un sujet de prédilection dans l’oeuvre de Klimt. D’un point de vue sociologique au début du XXème siècle, les femmes expriment le besoin de se faire une place au sein de la société ce qui provoque une crainte de la part de la gente masculine. De plus Vienne connait une sexualité débridée où deux types de femmes apparaissent :                la « maman » et la  « putain » selon les principes psychanalystes de Freud, contemporain de Klimt. Ces deux types de femmes se retrouve dans les tableaux de ce dernier.

Gustav Klimt représente ici le mythe antique de Danaé. Dans la mythologie grecque elle est la fille d’Acrisios, roi d’Argos.
Son père décide de l’enfermer dans une tour pour que personne ne l’approche. En effet un oracle a prédit qu’il allait mourir de la main de son petit fils.
Néanmoins, Zeus s’éprend d’elle et se transforme en pluie fine dorée pour la rejoindre : naitra Persée de cette union.

Que voit-on sur la toile ?

Nous avons la représentation de Danaé endormie, en position foetale et de Zeus sous la forme d’une pluie d’or. Ce dernier l’enfante. L’artiste abandonne pour la première fois le format vertical. Il nous impose un plan serré sur l’anatomie de la jeune femme en supprimant l’effet de profondeur et allège le décor.

Danaé est la figure de la femme vénale, rousse donc possiblement dangereuse. Klimt lui confère une sensualité des traits, une chair rosée, un corps en spirale.En effet nous pouvons apercevoir une ligne de force en forme de spirale, s’enroulant autour de la main droite de Danaé. L’absence de perspective met la cuisse et les fesses de la femme en valeur, en avant du tableau.
Les couleurs sont plutôt sombres autour de la jeune femme, elles sont bleues nuit, violettes et voilées ce qui donne un aspect sensuel mais il y a un contraste avec le corps nu qui est très pale et également avec l’or. C’est d’ailleurs de cet endroit que vient la lumière.

Le point de vue du spectateur est centré sur le visage de Danaé et le mouvement circulaire qui enveloppe personnage nous amène à voir ensuite la pluie descendante, qui a un mouvement différent; en ligne de force verticale.

Tout rappelle la rondeur, la fécondité : les motifs ovoïdes, la position fœtale, la pluie d’or que reçoit la protagoniste endormie. Ce motif doré qui représente Zeus, se distingue par son rectangle noir, représentation typique chez Klimt du principe masculin.

Ainsi, Klimt utilise le sommeil pour figurer la sensualité, l’érotisme innocent et la métaphore universelle de la fertilité. Ses lèvres ouvertes montre une disposition à recevoir le plaisir, l’acte sexuel, mais dans l’oeuvre la figure de celui qui rêve n’est pas conscient et donc pas responsable de ses désirs. Ici c’est le moment même de la procréation dans le mythe. La composition est sexualisée, sacralisé par l’usage de l’or et Danaé fait abstraction du spectateur.

La femme est réduite à sa sexualité : première toile sur ce thème chez Klimt. Sur une esquisse préparatoire de 1907 Klimt fois montre une Danaé qui dévoile son sexe. Il s’est ainsi lui – même censuré.

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Cette oeuvre inspire Schiele pour sa Danaé (en position fœtale mais sur le ventre) que Klimt reprend à son tour pour sa Léda.

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Schiele, Danaé, 1909
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Klimt, Léda, 1917

Autres Danaé au fil du temps en art

Dans l’Antiquité, ce thème est traité dans la céramique attique, où Danaé est une figure assise ou allongée et reçoit la pluie d’or, ouvrant parfois son vêtement pour mieux la recueillir.

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Danaé et la pluie d’or, cratère en cloche de Béotie, v. 450-425 av. J-C, © Musée du Louvre

Le thème de Danaé sera ensuite largement utilisé et repris dans la peinture d’histoire. Les premières représentations dépeignent Danaé à la manière d’une annonciation : robe bleue, pluie d’or à l’image des rayons de l’esprit saint.

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Jan Gossaert, Danaé, 1527, Munich, [Public Domain], via Wikimedia Commons

Par la suite, les peintres remplacent la pluie d’or par des pièces, figurant Danaé en tant qu’archétype de la femme vénale.

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Le Corrège, Danaé, 1530-1531, Galerie Borghèse, [Public Domain], via Wikimedia Commons
À Fontainebleau Le Primatice (Francesco Primaticcio, 1504-1570) peint pour François Ier une Danaé. Ci-dessous une tapisserie conservée à Vienne d’après un dessin du Primatice.

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Le Primatice, Danaé recevant la visite de Jupiter apparaissant sous la forme d’une pluie d’or
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Titien, Danaé, 1544, Naples, [Public Domain], via Wikimedia Commons

Il est considéré comme un des plus grands portraitistes de cette époque, notamment grâce à son habileté à faire ressortir les traits de caractère des personnages. « Il libère aussi la peinture des contraintes de la ligne et de la forme où elle était emprisonnée depuis le Moyen Âge finissant, et cela pour donner tout pouvoir à la couleur. Titien a réalisé pas moins de quatre versions de Danaé.

Gustav Seitz montre Danae comme une femme provocante dans une pose érotique, s’offrant à l’amour de Zeus.

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Seitz, Große Danae, 1967-1968, Cour intérieure du château d’Oldenburg, [Public Domain], via Wikimedia Commons
Anselm Kiefer, peintre et sculpteur Allemand, installe sa Danaé dans une des niches de l’escalier nord de la Cour carrée du Louvre.

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Kiefer, Danaé, 2007

 

J. Sennepin

 

SOURCES

Salvan Chloé, « Klimt et l’énigme du féminin. », Études 11/2012 (Tome 417) , p. 509-520, consulté le 12 Mars 2016.
URL : www.cairn.info/revue-etudes-2012-11-page-509.htm.

FELLINGER Markus, Au temps de Klimt : la Sécession à Vienne [exposition, Paris, Pinacothèque de Paris, 12 février-21 juin 2015], Paris, Pinacothèque de Paris

Klimt et l’Art Total

« A chaque siècle son art, à l’art sa liberté » Gustav Klimt

Peintre de compositions à personnages, sujets allégoriques antiques, nus, paysages, ou encore décorateur, Gustav Klimt est l’un des artistes de la scène viennoise le plus apprécié. Il s’illustre dans des compositions murales ou des portraits en imposant une ligne séductrice et en lu coffrent une haute portée symbolique. Son art s’affirme complètement lorsqu’il adhère à la Sécession viennoise; un courant artistique qui va à l’encontre du conformisme en art, et prône le renouveau des formes artistiques.
Il en devient le fondateur et le président en 1897, avec la volonté de créer un art total. D’où la présence de l’architecture, de la gravure, de la peinture … ainsi que de nombreuse influences dans le travail de l’artiste. C’est alors en étudiant plusieurs de ses oeuvres que nous pouvons voir les diverses sources d’inspirations.

Gustav Klimt, Frise Beethoven, 1902, [Public domain], via Wikimedia Commons
Les forces du Mal et Les Trois Gorgones, Frise Beethoven, 1902, Galerie Osterreichiches.

Une de ses réalisations les plus impressionnantes s’intitule Frise Beethoven et a été réalisé à l’occasion de la quatorzième exposition de la Sécession. Celle-ci a pour objectif de montrer l’interaction dans les oeuvres de plusieurs formes d’art. La musique est vraisemblablement ici une source d’inspiration majeure pour Klimt. Il représente la Neuvième Symphonie pour figurer l’aspiration au bonheur de l’humanité, apaisement recherché dans les arts .

Gustav Klimt, La Philosophie, [Public domain], via Wikimedia Commons
La Philosophie (détruite en 1945 par les nazis)

 

 

Les découvertes établies par Freud dès les années 1890, dans le domaine de la psychanalyse, ont également eu un impact sur la création des artistes viennois. La réalisation de l’oeuvre Philosophie en 1907 atteste de cette influence. Les éléments symboliques répandent des idées psychologiques, et l’importance de la femme dans de nombreuses oeuvres renvoie au thèse abordées par le psychanalyste.

Gustav Klimt, Pallas Athenee, 1898, [Public domain], via Wikimedia commons
Pallas Athenee, 1898, Vienne
Les autres influences défilent à travers des oeuvres singulières comme Pallas Athenee, à forte inspiration classique mais détournée en réalité pour laisser place à une femme aux traits de gorgone, ou encore le Portrait de Sonja Knips où l’asymétrie de la composition est héritée des estampes japonaises, et enfin l’influence de l’impressionnisme sur les paysages peints par Klimt ou les parterres fleuron qu’ils intègre à ses oeuvres.

 

 

Cependant, Gustav Klimt est largement connu pour son utilisation de l’or dans ce que l’on appelle son « Cycle d’Or » à partir de 1902. L’or lui permet de transfigurer la réalité, de rendre l’image éternelle et cela lui vient des mosaïques byzantines qu’il a notamment découvert à Ravenne lors de son voyage en Italie en 1903. On peut le voir notamment dans Le Baiser, mais aussi Serpent d’eau I et Judith I. L’or permet la représentation du sacré et de la séduction aussi bien par le fond doré que par les parures inspirées de la figure de l’impératrice Théodora représentée à SanVitale. Ainsi Klimt multiplie les domaines de recherches pour ses oeuvres. Cela s’inscrit dans son projet d’art total, tous réunis, pour arriver à se compléter et à produire des compostions absolues.

Gustav Klimt, Judith et la tête de Holopherne, 1901, [Public domain], via Wikimedia commons
Judith et la tête de Holopherne, 1901, Belvedere à Vienne

J.Sennepin

 

SOURCES 

Les influences de Gustave Moreau

Gustave Moreau nait à Paris en avril 1826 et dès son plus jeune âge, ne cesse de dessiner. Il parvint à entrer à l’âge de 20 ans à l’Ecole des Beaux-Arts où il reçut un apprentissage pratique et théorique. Cette formation, reconnue et presque indispensable pour les apprentis peintres français l’influença sans doute dans les sujets qu’il traita. En effet, il se définissait lui-même comme un peintre d’Histoire, aussi bien antique que sacrée. Cette conception, encore très académique de la formation artistique de la moitié du XIXe siècle, est très présente dans ses œuvres, où l’on remarque qu’il est imprégné de cette hiérarchisation de l’art, où la peinture d’Histoire et les allégories sont au sommet. Mais tout en conservant cette filiation avec l’art académique, il sut s’en détacher et donner un nouveau souffle à ce genre dans la manière de traiter ces thèmes. André Breton dit même que son génie repose dans sa façon de revivifier les mythes antiques et bibliques.
Ses sources d’inspiration sont multiples et se sont nourries et enrichies au fur et à mesure de sa vie. Il convient tout d’abord d’aborder l’influence de l’art italien renaissant dans ses œuvres. Il est vrai que le traitement des corps est frappant de ressemblance avec les artistes renaissants. Par exemple, dans son carton pour le tableau Tyrtée, observable dans son musée parisien, la musculature et la position du corps du personnage central doivent être rapprochés de la figure du Laocoon, redécouvert en 1506, qui influença énormément Michel-Ange et Raphaël, artistes qu’il put admirer et copier lors de son voyage en Italie en 1857.

Gustave Moreau, Carton pour le tableau « Tyrtée »

Laocoon et ses fils, marbre, copie d’un original hellénistique de 200 av. JC

Son tableau Les Prétendants, réalisé en en 1852 et agrandi en 1882, est presque indissociable du Massacre des Innocents de Ghirlandaio, autant dans l’agitation de la scène que dans son caractère chaotique.

Gustave Moreau, Les Prétendants, huile sur toile

Ghirlandaio, Massacre des Innocents, fresque, v. 1490

Ainsi, au-delà de l’influence de la Renaissance, Gustave Moreau puise surtout son inspiration dans l’Antiquité à travers ce qu’il a pu observer en Italie. On peut constater que dans toutes ses œuvres majeures où il traite des sujets antiques tirés de l’Odyssée d’Homère, ou des Métamorphoses d’Ovide, il réalise presque systématiquement une architecture de type antique, sous la forme de temple avec des frontons, des chapiteaux ioniques, corinthiens… Mais cette influence de la Renaissance tardive est contrebalancée par l’omniprésence de détails tirés du gothique international, caractéristique du Quattrocento avec une profusion d’or ou encore d’arcs brisés qui rappellent les triptyques italiens, comme avec sa Salomé dansant et Le Triptyque de l’Annonciation de Lorenzo Monaco.

Lorenzo Monaco, Triptyque de l’Annonciation, tempera sur bois, 1410-1415
Gustave Moreau, Salomé dit Salomé dansant devant Hérode, Huile sur toile, 1876

A partir de cette constations, il convient de remarquer une atmosphère byzantine dans ses œuvres, à nouveau sensible par la touche dorée qu’il ajoute dans la presque totalité de ses œuvres mais aussi dans la position des personnages, et spécifiquement dans son aquarelle de Narcisse et sa Léda, où chacun présente la position de la Vierge de la Nativité emprunté au style byzantin, où elle est représentée allongée avec une grande stylisation de ses formes, suivant une ligne serpentine allant de ses épaules à ses pieds.

Gustave Moreau, Narcisse, aquarelle, non daté
Gustave Moreau, Léda, huile sur toile, non daté
Andreï Rublev, Icône de la Nativité, huile sur bois, 1405

Mais Gustave Moreau eut également d’autres sources d’inspiration qui s’inscrivent en réalité dans la continuité de celles énumérées précédemment. Pierre-Louis Matthieu (2) met en exergue dans son article l’influence des miniatures persanes et indiennes qu’il observe au cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale, ou encore les émaux, ou même les estampes japonaises. Cette combinaison d’influences orientales est à son paroxysme dans son œuvre Jupiter et Sémélé, qui se présente réellement en rupture avec tout ce qu’il avait fait auparavant, aussi bien dans le traitement des couleurs, que dans la profusion des détails, ou dans la signification spirituelle de l’œuvre-même. En effet, il souhaitait, selon ses propres mots permettre aux hommes et leurs âmes de trouver « toutes les aspirations de rêve, de tendresse, d’amour, d’enthousiasme et d’élévation vers les sphères religieuses » (1) avec donc une volonté d’ascension, de la sphère terrestre vers un espace paisible, olympien, qui est représenté ici comme une utopie.

Gustave Moreau, Jupiter et Sémélé, huile sur toile, 1896

(1) MOREAU Gustave, L’Assembleur de rêves. Écrits complets, P.-L. Mathieu éd., Fata Morgana, Montfroide, 1984
(2) MATHIEU Pierre-Louis, « MOREAU GUSTAVE (1826-1898) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 13 février 2016.
URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/gustave-moreau/