Contexte politique et social français

Le XIXe siècle est marqué par l’histoire de révolutions, de rétablissements, d’innovations et de bouleversements politiques, sociaux, économiques, culturels et techniques. Gustave Moreau naît en 1826, période où commence l’essoufflement de la Restauration qui dura de 1814 à 1830. Ses années de jeunesse, qu’il passa à Paris, furent placées sous l’égide de la Monarchie de Juillet, période très contestataire qui s’étend de 1830 à 1848, avant la Seconde République, très courte (1848-1852) et le Second Empire à partir de 1852. Ainsi, ses premières années se sont faites sous le joug de la Monarchie de Juillet qui correspond pour André Jean Tudesq (1) à « une époque d’éloquence parlementaire ». En effet, l’abolition de la religion catholique comme religion d’Etat, alors que le chef d’Etat est tout de même un descendant de monarque, permet d’associer la nouvelle monarchie au principe de la souveraineté nationale. On constate pendant cette période une extension progressive du droit de vote, toujours bien évidemment pour les hommes, avec la possibilité d’élection du conseil municipal dans toutes les villes, élection des officiers de la garde nationale par ses membres et des députés, toujours dans les conditions suivantes : les électeurs devaient avoir au moins 25 ans et payer 200 Francs d’impôts directs. Mais malgré cela, la Monarchie de Juillet est également et surtout une période de troubles, où les inégalités sociales s’amplifient, le chômage augmente, les prix des matières premières également alors que les salaires diminuent, et l’agitation révolutionnaire s’accroit notamment « grâce » à l’apparition d’une presse autonome par rapport à la politique en raison de l’affaiblissement de l’autorité et qui se traduit par la multiplication de partis, de tendances, de manifestations et de la presse spécialisée. Résultant de ce climat de mouvance, d’incertitudes et d’instabilité, la Monarchie de Juillet provoque une remise en question des valeurs traditionnelles comme la religion, la famille, le respect face au pouvoir, et de ce fait un changement des mentalités.

Cette période, pendant laquelle grandi Moreau, influença irrémédiablement les courants artistiques, la littérature, la peinture, l’apparition de la photographie, et donc la façon de voir le monde. Mais il ne s’agit là encore que de la politique intérieure de la France, or sa politique extérieure en Méditerranée notamment vécut un véritable tournant lors de la prise d’Alger pendant l’été 1830. A cela s’ajoute le percement du canal de Suez par Ferdinand de Lessepes qui reçoit, comme le précisent Marc Bascou et Adrien Dansette (2), le soutien diplomatique et financier de l’empereur, et son inauguration par l’impératrice en 1869 qui témoigne de la suprématie française dans les pays méditerranéens. Cela provoqua et institua l’explosion du style orientaliste dont Moreau fut très influencé. Cette influence est sensible dans la majorité de ses œuvres et dans sa façon de traiter les sujets tirés de l’Ancien Testament où règnent une surabondance de motifs orientaux, de couleurs chaudes, d’or et d’une opulence matérielle et économique caractéristique de l’idée, sans doute utopique, que les Occidentaux avaient de l’Orient à cette époque. De la même manière, son emprunt presque perpétuel aux mythes et épisodes de l’Ancien Testament peuvent trouver un écho dans les évènements qui lui ont été contemporains. En effet, lors de l’avènement du Second Empire en 1852, Moreau a 26 ans et présente pour la première fois un tableau au Salon. On peut alors trouver dans ses œuvres des allusions métaphoriques au pouvoir en place, comme les Athéniens livrés au minotaure qui date de 1855, et que l’on peut rapprocher de ce que rapportent Marc Bascou et Adrien Dansette (2) dans leur article sur Napoléon III, qu’ils présentent comme un homme « porté par une confiance superstitieuse en son destin d’homme providentiel », étant l’héritier de Napoléon Ier, et « croyant à la démocratie césarienne » c’est-à-dire « dans un gouvernement dont la base est démocratique, le chef seul a le pouvoir gouvernemental ».

Gustave Moreau, Les Athéniens livrés au Minotaure, huile sur toile, 1855

Ainsi, le XIXe siècle se caractérise par ses constantes évolutions, plus ou moins stables et plus ou moins satisfaisantes, qui, bien que pouvant sembler futiles du point de vue des artistes comme Gustave Moreau, influent irrémédiablement leur production artistique, leur façon de penser, de concevoir le monde qui les entoure, d’autant plus qu’une réelle philosophie nouvelle émerge lors du Second Empire, liée aux progrès scientifiques qui favorisent le positivisme, courant philosophique porté par Auguste Comte, qui considère que la connaissance ne peut venir que de faits démontrables, que seule l’expérience peut apporter la connaissance. De ce fait, il est logique d’aboutir à la doctrine du réalisme que Champfleury synthétise ainsi en 1853 : « La sincérité dans l’art », chaque expression du soi doit être sincère dans le sens où elle doit être vérifiable.

(1) André Jean TUDESQ, « JUILLET MONARCHIE DE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 29 février 2016. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/monarchie-de-juillet/

(2) Marc BASCOU, Adrien DANSETTE, Universalis, « EMPIRE SECOND – – (1852-1870) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 29 février 2016. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/second-empire/