Vienne au temps de la Sécession

Afin de situer au mieux les artistes présents dans les différents articles, il est primordiale de comprendre comment chaque région, capitale, a vécut ces périodes de renouveau artistique et notamment Vienne avec la Sécession.

Au tournant du XIXème et du XXème siècle, la ville de Vienne est un pôle culturelle : la « Mitteleuropa ». La croissance démographique est immense (le million d’habitants est atteint), Vienne est la capitale de l’Empire composé de 15 nations et l’économie est en flèche. Ce contexte culturel, économique et social est idéal pour l’implantation des idées symbolistes françaises. Vienne devient alors un terrain fertile à la création et au changement.

En ce qui concerne le contexte artistique, deux tendances se développe au sein de la ville. L’Aristocratie est ancrée dans un Académisme installé depuis longtemps, qui dicte les règles et le goût; et la Bourgeoisie qui se trouve en dehors de l’action politique, cherche à s’évader, notamment grâce à l’art. C’est cette dernière tendance qui va permettre « l’avènement » du symbolisme. De plus, il ne faut pas oublier que la psychanalyse de Freud est très présente à l’esprit des artistes et dans la société viennoise. Un peintre comme Klimt fera tourner la majorité de ses créations autour du rêve et des émotions.

Comme les Préraphaélites, le symbolisme opère une redécouverte du Moyen-Age et de la mythologie antique. Hevesi parle d’influences « anglaises, belges, japonaises, grecques anciennes, stylistiques naturaliste, ornementales … ». Ce répertoire est utilisé pour l’expression des sentiments, les émotions obscures et insaisissables sur un plan rationnel. Les recherches symbolistes vont dès lors se porter sur plusieurs aspects, dont la figure féminine. Celle-ci, chez Klimt et les autres, sera l’occasion d’étudier, d’explorer de manière artistiques, les mystères du sexe féminin. Ainsi, la tension sexuel réprimée par la convention et l’Académisme est sublimée dans cet art.

La Sécession 

Suite à l’échec cuisant de son œuvre monumental de La Philosophie, La Médecine et La Jurisprudence créée pour les murs du hall de l’Universté de Vienne; Klimt s’éloigne de l’Académisme et des artistes officiels, qui contrôlent entièrement le marché de l’art.

Vingt artistes dont Hofmann, Moll, Möser et Klimt lui-même, fondent en 1897 la Sécession : Sezessionsstil ou Wiener Secession en allemand.
Les objectifs de la Sécession sont exposés dans la revue Ver Sacrum (Printemps Sacré en français) et le lieu d’exposition est le palais de la sécession réalisé par Joseph Maria Olbrich. Sur le fronton il est inscrit : « A chaque époque son art, à l’art sa liberté ».
Il n’y a aucun programme précis sur plan stylistique mais il existe un accord mutuel sur une réflexion sur l’art.

Ce qui régit principalement les artistes de la sécession est la notion d’art totale, Gesamtkunstwerk, définie par Runge et développée par Wagner.

Les premières années font preuve d’une grande inventivité et productivité, l’inspiration principale provient de l’Art Nouveau français et des Arts and Crafts anglais. C’est un art neuf et sincère où les « habituelles expositions d’art traditionnel » prennent fin avec l’exposition de la Frise Beethoven de Klimt selon Störh. C’est en 1902 que cette oeuvre est exposé lors la 15ème exposition de la Sécession. Au centre du pavillon, Klimt interprète la Neuvième symphonie de Beethoven; convaincu du but suprême de la peinture de s’intégrer à a perfection dans un cadre architectural. Les artistes de la Sécession ont le même désir de faire éclater les institutions et de refonder la scène artistique viennoise. Tout ce qui est nouveau les intéresse.

En 1903 a lieu la « Première scission ».
Hoffmann, Moser et l’industriel Waerndorfer veulent allier les beaux arts et les arts nouveaux, pour une forme d’art total accessible à tous. C’est la Wiener Werkstätte (l’atelier viennois). Un nouveau souffle apparaît dans les arts appliqués.

Et après ? Une volonté d’ouverture sur le monde se fait sentir. De nombreux échanges entre Munich, Berlin et la Scandinavie ont lieu avec des artistes comme  Toorop, Khnopff, Munch.

« Notre art n’est pas un combat des artistes modernes contre les anciens, mais la promotion des arts contre les colporteurs qui se font passer pour des artistes et qui ont un intérêt commercial à ne pas laisser l’art s’épanouir. Le commerce ou l’art, tel est l’enjeu de notre Sécession. Il ne s’agit pas d’un débat esthétique, mais d’une confrontation entre deux états d’esprit ». Hermann Bahr

J. Sennepin

SOURCES

FELLINGER Markus, Au temps de Klimt : la Sécession à Vienne [exposition, Paris, Pinacothèque de Paris, 12 février-21 juin 2015], Paris, Pinacothèque de Paris

Yve-Alain BOIS, « SÉCESSION, mouvement artistique », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 7 mars 2016. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/secession-mouvement-artistique/

Emission radio de Canal académie par Brigitte Ducousso-Mao, professeur d’histoire de l’art à l’Association Philotechnique.

Danaé ou l’histoire de la fécondité

Danaé est une huile sur toile de petite dimension : 73 x 88 cm, présentée à la Kunstschau en 1908, exposition pire du mouvement moderniste viennois. Après son œuvre Le Baiser qui lui a fait connaître l’apogée , Gustave Klimt a peint l’extase amoureuse dans cette toile. Elle représente une des peintures à l’huile les plus érotiques.

Les femmes sont un sujet de prédilection dans l’oeuvre de Klimt. D’un point de vue sociologique au début du XXème siècle, les femmes expriment le besoin de se faire une place au sein de la société ce qui provoque une crainte de la part de la gente masculine. De plus Vienne connait une sexualité débridée où deux types de femmes apparaissent :                la « maman » et la  « putain » selon les principes psychanalystes de Freud, contemporain de Klimt. Ces deux types de femmes se retrouve dans les tableaux de ce dernier.

Gustav Klimt représente ici le mythe antique de Danaé. Dans la mythologie grecque elle est la fille d’Acrisios, roi d’Argos.
Son père décide de l’enfermer dans une tour pour que personne ne l’approche. En effet un oracle a prédit qu’il allait mourir de la main de son petit fils.
Néanmoins, Zeus s’éprend d’elle et se transforme en pluie fine dorée pour la rejoindre : naitra Persée de cette union.

Que voit-on sur la toile ?

Nous avons la représentation de Danaé endormie, en position foetale et de Zeus sous la forme d’une pluie d’or. Ce dernier l’enfante. L’artiste abandonne pour la première fois le format vertical. Il nous impose un plan serré sur l’anatomie de la jeune femme en supprimant l’effet de profondeur et allège le décor.

Danaé est la figure de la femme vénale, rousse donc possiblement dangereuse. Klimt lui confère une sensualité des traits, une chair rosée, un corps en spirale.En effet nous pouvons apercevoir une ligne de force en forme de spirale, s’enroulant autour de la main droite de Danaé. L’absence de perspective met la cuisse et les fesses de la femme en valeur, en avant du tableau.
Les couleurs sont plutôt sombres autour de la jeune femme, elles sont bleues nuit, violettes et voilées ce qui donne un aspect sensuel mais il y a un contraste avec le corps nu qui est très pale et également avec l’or. C’est d’ailleurs de cet endroit que vient la lumière.

Le point de vue du spectateur est centré sur le visage de Danaé et le mouvement circulaire qui enveloppe personnage nous amène à voir ensuite la pluie descendante, qui a un mouvement différent; en ligne de force verticale.

Tout rappelle la rondeur, la fécondité : les motifs ovoïdes, la position fœtale, la pluie d’or que reçoit la protagoniste endormie. Ce motif doré qui représente Zeus, se distingue par son rectangle noir, représentation typique chez Klimt du principe masculin.

Ainsi, Klimt utilise le sommeil pour figurer la sensualité, l’érotisme innocent et la métaphore universelle de la fertilité. Ses lèvres ouvertes montre une disposition à recevoir le plaisir, l’acte sexuel, mais dans l’oeuvre la figure de celui qui rêve n’est pas conscient et donc pas responsable de ses désirs. Ici c’est le moment même de la procréation dans le mythe. La composition est sexualisée, sacralisé par l’usage de l’or et Danaé fait abstraction du spectateur.

La femme est réduite à sa sexualité : première toile sur ce thème chez Klimt. Sur une esquisse préparatoire de 1907 Klimt fois montre une Danaé qui dévoile son sexe. Il s’est ainsi lui – même censuré.

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Cette oeuvre inspire Schiele pour sa Danaé (en position fœtale mais sur le ventre) que Klimt reprend à son tour pour sa Léda.

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Schiele, Danaé, 1909
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Klimt, Léda, 1917

Autres Danaé au fil du temps en art

Dans l’Antiquité, ce thème est traité dans la céramique attique, où Danaé est une figure assise ou allongée et reçoit la pluie d’or, ouvrant parfois son vêtement pour mieux la recueillir.

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Danaé et la pluie d’or, cratère en cloche de Béotie, v. 450-425 av. J-C, © Musée du Louvre

Le thème de Danaé sera ensuite largement utilisé et repris dans la peinture d’histoire. Les premières représentations dépeignent Danaé à la manière d’une annonciation : robe bleue, pluie d’or à l’image des rayons de l’esprit saint.

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Jan Gossaert, Danaé, 1527, Munich, [Public Domain], via Wikimedia Commons

Par la suite, les peintres remplacent la pluie d’or par des pièces, figurant Danaé en tant qu’archétype de la femme vénale.

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Le Corrège, Danaé, 1530-1531, Galerie Borghèse, [Public Domain], via Wikimedia Commons
À Fontainebleau Le Primatice (Francesco Primaticcio, 1504-1570) peint pour François Ier une Danaé. Ci-dessous une tapisserie conservée à Vienne d’après un dessin du Primatice.

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Le Primatice, Danaé recevant la visite de Jupiter apparaissant sous la forme d’une pluie d’or
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Titien, Danaé, 1544, Naples, [Public Domain], via Wikimedia Commons

Il est considéré comme un des plus grands portraitistes de cette époque, notamment grâce à son habileté à faire ressortir les traits de caractère des personnages. « Il libère aussi la peinture des contraintes de la ligne et de la forme où elle était emprisonnée depuis le Moyen Âge finissant, et cela pour donner tout pouvoir à la couleur. Titien a réalisé pas moins de quatre versions de Danaé.

Gustav Seitz montre Danae comme une femme provocante dans une pose érotique, s’offrant à l’amour de Zeus.

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Seitz, Große Danae, 1967-1968, Cour intérieure du château d’Oldenburg, [Public Domain], via Wikimedia Commons
Anselm Kiefer, peintre et sculpteur Allemand, installe sa Danaé dans une des niches de l’escalier nord de la Cour carrée du Louvre.

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Kiefer, Danaé, 2007

 

J. Sennepin

 

SOURCES

Salvan Chloé, « Klimt et l’énigme du féminin. », Études 11/2012 (Tome 417) , p. 509-520, consulté le 12 Mars 2016.
URL : www.cairn.info/revue-etudes-2012-11-page-509.htm.

FELLINGER Markus, Au temps de Klimt : la Sécession à Vienne [exposition, Paris, Pinacothèque de Paris, 12 février-21 juin 2015], Paris, Pinacothèque de Paris

Klimt et l’Art Total

« A chaque siècle son art, à l’art sa liberté » Gustav Klimt

Peintre de compositions à personnages, sujets allégoriques antiques, nus, paysages, ou encore décorateur, Gustav Klimt est l’un des artistes de la scène viennoise le plus apprécié. Il s’illustre dans des compositions murales ou des portraits en imposant une ligne séductrice et en lu coffrent une haute portée symbolique. Son art s’affirme complètement lorsqu’il adhère à la Sécession viennoise; un courant artistique qui va à l’encontre du conformisme en art, et prône le renouveau des formes artistiques.
Il en devient le fondateur et le président en 1897, avec la volonté de créer un art total. D’où la présence de l’architecture, de la gravure, de la peinture … ainsi que de nombreuse influences dans le travail de l’artiste. C’est alors en étudiant plusieurs de ses oeuvres que nous pouvons voir les diverses sources d’inspirations.

Gustav Klimt, Frise Beethoven, 1902, [Public domain], via Wikimedia Commons
Les forces du Mal et Les Trois Gorgones, Frise Beethoven, 1902, Galerie Osterreichiches.

Une de ses réalisations les plus impressionnantes s’intitule Frise Beethoven et a été réalisé à l’occasion de la quatorzième exposition de la Sécession. Celle-ci a pour objectif de montrer l’interaction dans les oeuvres de plusieurs formes d’art. La musique est vraisemblablement ici une source d’inspiration majeure pour Klimt. Il représente la Neuvième Symphonie pour figurer l’aspiration au bonheur de l’humanité, apaisement recherché dans les arts .

Gustav Klimt, La Philosophie, [Public domain], via Wikimedia Commons
La Philosophie (détruite en 1945 par les nazis)

 

 

Les découvertes établies par Freud dès les années 1890, dans le domaine de la psychanalyse, ont également eu un impact sur la création des artistes viennois. La réalisation de l’oeuvre Philosophie en 1907 atteste de cette influence. Les éléments symboliques répandent des idées psychologiques, et l’importance de la femme dans de nombreuses oeuvres renvoie au thèse abordées par le psychanalyste.

Gustav Klimt, Pallas Athenee, 1898, [Public domain], via Wikimedia commons
Pallas Athenee, 1898, Vienne
Les autres influences défilent à travers des oeuvres singulières comme Pallas Athenee, à forte inspiration classique mais détournée en réalité pour laisser place à une femme aux traits de gorgone, ou encore le Portrait de Sonja Knips où l’asymétrie de la composition est héritée des estampes japonaises, et enfin l’influence de l’impressionnisme sur les paysages peints par Klimt ou les parterres fleuron qu’ils intègre à ses oeuvres.

 

 

Cependant, Gustav Klimt est largement connu pour son utilisation de l’or dans ce que l’on appelle son « Cycle d’Or » à partir de 1902. L’or lui permet de transfigurer la réalité, de rendre l’image éternelle et cela lui vient des mosaïques byzantines qu’il a notamment découvert à Ravenne lors de son voyage en Italie en 1903. On peut le voir notamment dans Le Baiser, mais aussi Serpent d’eau I et Judith I. L’or permet la représentation du sacré et de la séduction aussi bien par le fond doré que par les parures inspirées de la figure de l’impératrice Théodora représentée à SanVitale. Ainsi Klimt multiplie les domaines de recherches pour ses oeuvres. Cela s’inscrit dans son projet d’art total, tous réunis, pour arriver à se compléter et à produire des compostions absolues.

Gustav Klimt, Judith et la tête de Holopherne, 1901, [Public domain], via Wikimedia commons
Judith et la tête de Holopherne, 1901, Belvedere à Vienne

J.Sennepin

 

SOURCES 

Contexte politique et social français

Le XIXe siècle est marqué par l’histoire de révolutions, de rétablissements, d’innovations et de bouleversements politiques, sociaux, économiques, culturels et techniques. Gustave Moreau naît en 1826, période où commence l’essoufflement de la Restauration qui dura de 1814 à 1830. Ses années de jeunesse, qu’il passa à Paris, furent placées sous l’égide de la Monarchie de Juillet, période très contestataire qui s’étend de 1830 à 1848, avant la Seconde République, très courte (1848-1852) et le Second Empire à partir de 1852. Ainsi, ses premières années se sont faites sous le joug de la Monarchie de Juillet qui correspond pour André Jean Tudesq (1) à « une époque d’éloquence parlementaire ». En effet, l’abolition de la religion catholique comme religion d’Etat, alors que le chef d’Etat est tout de même un descendant de monarque, permet d’associer la nouvelle monarchie au principe de la souveraineté nationale. On constate pendant cette période une extension progressive du droit de vote, toujours bien évidemment pour les hommes, avec la possibilité d’élection du conseil municipal dans toutes les villes, élection des officiers de la garde nationale par ses membres et des députés, toujours dans les conditions suivantes : les électeurs devaient avoir au moins 25 ans et payer 200 Francs d’impôts directs. Mais malgré cela, la Monarchie de Juillet est également et surtout une période de troubles, où les inégalités sociales s’amplifient, le chômage augmente, les prix des matières premières également alors que les salaires diminuent, et l’agitation révolutionnaire s’accroit notamment « grâce » à l’apparition d’une presse autonome par rapport à la politique en raison de l’affaiblissement de l’autorité et qui se traduit par la multiplication de partis, de tendances, de manifestations et de la presse spécialisée. Résultant de ce climat de mouvance, d’incertitudes et d’instabilité, la Monarchie de Juillet provoque une remise en question des valeurs traditionnelles comme la religion, la famille, le respect face au pouvoir, et de ce fait un changement des mentalités.

Cette période, pendant laquelle grandi Moreau, influença irrémédiablement les courants artistiques, la littérature, la peinture, l’apparition de la photographie, et donc la façon de voir le monde. Mais il ne s’agit là encore que de la politique intérieure de la France, or sa politique extérieure en Méditerranée notamment vécut un véritable tournant lors de la prise d’Alger pendant l’été 1830. A cela s’ajoute le percement du canal de Suez par Ferdinand de Lessepes qui reçoit, comme le précisent Marc Bascou et Adrien Dansette (2), le soutien diplomatique et financier de l’empereur, et son inauguration par l’impératrice en 1869 qui témoigne de la suprématie française dans les pays méditerranéens. Cela provoqua et institua l’explosion du style orientaliste dont Moreau fut très influencé. Cette influence est sensible dans la majorité de ses œuvres et dans sa façon de traiter les sujets tirés de l’Ancien Testament où règnent une surabondance de motifs orientaux, de couleurs chaudes, d’or et d’une opulence matérielle et économique caractéristique de l’idée, sans doute utopique, que les Occidentaux avaient de l’Orient à cette époque. De la même manière, son emprunt presque perpétuel aux mythes et épisodes de l’Ancien Testament peuvent trouver un écho dans les évènements qui lui ont été contemporains. En effet, lors de l’avènement du Second Empire en 1852, Moreau a 26 ans et présente pour la première fois un tableau au Salon. On peut alors trouver dans ses œuvres des allusions métaphoriques au pouvoir en place, comme les Athéniens livrés au minotaure qui date de 1855, et que l’on peut rapprocher de ce que rapportent Marc Bascou et Adrien Dansette (2) dans leur article sur Napoléon III, qu’ils présentent comme un homme « porté par une confiance superstitieuse en son destin d’homme providentiel », étant l’héritier de Napoléon Ier, et « croyant à la démocratie césarienne » c’est-à-dire « dans un gouvernement dont la base est démocratique, le chef seul a le pouvoir gouvernemental ».

Gustave Moreau, Les Athéniens livrés au Minotaure, huile sur toile, 1855

Ainsi, le XIXe siècle se caractérise par ses constantes évolutions, plus ou moins stables et plus ou moins satisfaisantes, qui, bien que pouvant sembler futiles du point de vue des artistes comme Gustave Moreau, influent irrémédiablement leur production artistique, leur façon de penser, de concevoir le monde qui les entoure, d’autant plus qu’une réelle philosophie nouvelle émerge lors du Second Empire, liée aux progrès scientifiques qui favorisent le positivisme, courant philosophique porté par Auguste Comte, qui considère que la connaissance ne peut venir que de faits démontrables, que seule l’expérience peut apporter la connaissance. De ce fait, il est logique d’aboutir à la doctrine du réalisme que Champfleury synthétise ainsi en 1853 : « La sincérité dans l’art », chaque expression du soi doit être sincère dans le sens où elle doit être vérifiable.

(1) André Jean TUDESQ, « JUILLET MONARCHIE DE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 29 février 2016. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/monarchie-de-juillet/

(2) Marc BASCOU, Adrien DANSETTE, Universalis, « EMPIRE SECOND – – (1852-1870) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 29 février 2016. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/second-empire/

Arnold Böcklin et sa postérité

Il est passionnant de se pencher sur la postérité que peut avoir notre artiste Arnold Böcklin de nos jours, mais également d’aller regarder vers le passé pour voir quelle pouvait être sa notoriété. Notre artiste, bien que suisse, est considéré comme l’un des principaux symbolistes allemands du XIXème siècle. Il a « fait reculer les limites de l’art et multiplier les possibilités d’expression » (1). Il connait sa période de gloire à partir des années 1880 jusqu’aux années 1890. Il est à cette époque l’artiste le plus influent dans le monde germanophone. Le jour de sa mort, les commémorations se succèdent, le monde artistique rentre dans un douloureux deuil.

En effet, Arnold Böcklin jouit d’un grand succès en Allemagne où il est reconnu comme un des plus grands artistes de son temps, ainsi qu’en Europe. Cependant, la France refuse de s’ouvrir à cet artiste symboliste. La guerre Franco-Prussienne (1870-1871) a fait naître au sein du territoire français , un anti-germanisme fort. Toutefois, il faut comprendre cette germanophobie dans son ensemble et pas seulement comme une conséquence de la Guerre de 1870.

Dans un contexte peu favorable à la réception de la production artistique de Böcklin, il y a des poètes français qui vont manifester leur goût envers l’artiste. Ils apprécient ses oeuvres chargées de symboles qui font échos à leurs poèmes. Toutefois, les critiques élogieuses et négatives s’entrechoquent. Les commentaires sur Böcklin fusent et sont bien plus nombreux qu’en Angleterre ou en Italie. Bien que mis de côté, quelque peu délaissé par le grand public, notre artiste n’est pas ignoré. Les revues littéraires françaises les plus novatrices s’intéressent à la littérature, à la philosophie, en somme à la culture des pays germanophones.

Par conséquent, Böcklin est étudié et discuté. Un grand poète français, Jules Laforgue ne tarit pas d’éloges à son encontre et fait découvrir à ses amis symbolistes l’art de cette grande figure du symbolisme allemand. Arnold Böcklin comme Gustave Moreau va connaitre de vives critiques à son égard, en ce qui concerne sa production artistique. Les poètes et écrivains par leurs critiques dithyrambiques vont faire naitre des déceptions auprès des spectateurs qui vont trouver les oeuvres trop idéalisées.

Arnold Böcklin est admiré par les expressionnistes allemands comme Lovis Corinth par exemple, pour ne citer que lui. Celui-ci utilise des motifs mythologiques grecques et chrétiens en les parodiant. Ce gout de la parodie nous le devons à Arnold Böcklin (2). Les peintres surréalistes dans les années 1910-1920 vont découvrir notre artiste. De Chirico, Max Ernst vont s’inspirer de sa production artistique pour créer des oeuvres singulières lui faisant échos. De Chirico par exemple va s’inspirer du tableau Mélancolie, 1871  et va et va créer ainsi l’oeuvre Malinconia della partenza, 1916.

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Max Ernst va lui aussi s’inspirer d’une oeuvre de Böcklin s’intitulant Saint Antoine prêchant un poisson échoué sur la plage, 1892 pour créer Le poisson et le vapeur 1920-1929. Ces artistes ne sont pas les seuls à hériter de l’influence de notre artiste.

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Bien que des liens et des influences se tissent à travers Böcklin et plusieurs artistes, il est effarant de constater qu’il soit encore très peu connu en France dans les années 2000 alors qu’il possède une renommée internationale. De plus, quelques uns de ses travaux ont été montrés en 1976 au Jeu de Paume à Paris. Il faut attendre la grande rétrospective au Musée d’Orsay sur l’artiste en 2001(exposition provenant de Bâle) à l’occasion du centième anniversaire de sa mort pour que la méfiance envers cet artiste adulé par Hilter pendant la Seconde Guerre Mondiale s’envole de France. En effet, on considérait à l’époque cet artiste du côté français, comme un germaniste,  comme « un artiste admiré que par les hommes de sa race » (3).

Depuis les années 70-80, les expositions se sont multipliées partout en Europe mais également outre Atlantique aux Etats-Unis avec une exposition en 2000 au Museum of Fine Arts à Houston.

 

(1)  http://www.artlinefilms.com/catalogue/arnold-bocklin

(2)  http://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/au-musee-dorsay/presentation-detaillee/article/lovis-corinth-7834.html?S=&tx_ttnews%5BbackPid%5D=649&cHash=e0e585ab0f&print=1&no_cache=1&

(3) http://www.nytimes.com/2002/01/12/style/12iht-bocklin_ed3_.html

Vic.H

Les influences de Gustave Moreau

Gustave Moreau nait à Paris en avril 1826 et dès son plus jeune âge, ne cesse de dessiner. Il parvint à entrer à l’âge de 20 ans à l’Ecole des Beaux-Arts où il reçut un apprentissage pratique et théorique. Cette formation, reconnue et presque indispensable pour les apprentis peintres français l’influença sans doute dans les sujets qu’il traita. En effet, il se définissait lui-même comme un peintre d’Histoire, aussi bien antique que sacrée. Cette conception, encore très académique de la formation artistique de la moitié du XIXe siècle, est très présente dans ses œuvres, où l’on remarque qu’il est imprégné de cette hiérarchisation de l’art, où la peinture d’Histoire et les allégories sont au sommet. Mais tout en conservant cette filiation avec l’art académique, il sut s’en détacher et donner un nouveau souffle à ce genre dans la manière de traiter ces thèmes. André Breton dit même que son génie repose dans sa façon de revivifier les mythes antiques et bibliques.
Ses sources d’inspiration sont multiples et se sont nourries et enrichies au fur et à mesure de sa vie. Il convient tout d’abord d’aborder l’influence de l’art italien renaissant dans ses œuvres. Il est vrai que le traitement des corps est frappant de ressemblance avec les artistes renaissants. Par exemple, dans son carton pour le tableau Tyrtée, observable dans son musée parisien, la musculature et la position du corps du personnage central doivent être rapprochés de la figure du Laocoon, redécouvert en 1506, qui influença énormément Michel-Ange et Raphaël, artistes qu’il put admirer et copier lors de son voyage en Italie en 1857.

Gustave Moreau, Carton pour le tableau « Tyrtée »

Laocoon et ses fils, marbre, copie d’un original hellénistique de 200 av. JC

Son tableau Les Prétendants, réalisé en en 1852 et agrandi en 1882, est presque indissociable du Massacre des Innocents de Ghirlandaio, autant dans l’agitation de la scène que dans son caractère chaotique.

Gustave Moreau, Les Prétendants, huile sur toile

Ghirlandaio, Massacre des Innocents, fresque, v. 1490

Ainsi, au-delà de l’influence de la Renaissance, Gustave Moreau puise surtout son inspiration dans l’Antiquité à travers ce qu’il a pu observer en Italie. On peut constater que dans toutes ses œuvres majeures où il traite des sujets antiques tirés de l’Odyssée d’Homère, ou des Métamorphoses d’Ovide, il réalise presque systématiquement une architecture de type antique, sous la forme de temple avec des frontons, des chapiteaux ioniques, corinthiens… Mais cette influence de la Renaissance tardive est contrebalancée par l’omniprésence de détails tirés du gothique international, caractéristique du Quattrocento avec une profusion d’or ou encore d’arcs brisés qui rappellent les triptyques italiens, comme avec sa Salomé dansant et Le Triptyque de l’Annonciation de Lorenzo Monaco.

Lorenzo Monaco, Triptyque de l’Annonciation, tempera sur bois, 1410-1415
Gustave Moreau, Salomé dit Salomé dansant devant Hérode, Huile sur toile, 1876

A partir de cette constations, il convient de remarquer une atmosphère byzantine dans ses œuvres, à nouveau sensible par la touche dorée qu’il ajoute dans la presque totalité de ses œuvres mais aussi dans la position des personnages, et spécifiquement dans son aquarelle de Narcisse et sa Léda, où chacun présente la position de la Vierge de la Nativité emprunté au style byzantin, où elle est représentée allongée avec une grande stylisation de ses formes, suivant une ligne serpentine allant de ses épaules à ses pieds.

Gustave Moreau, Narcisse, aquarelle, non daté
Gustave Moreau, Léda, huile sur toile, non daté
Andreï Rublev, Icône de la Nativité, huile sur bois, 1405

Mais Gustave Moreau eut également d’autres sources d’inspiration qui s’inscrivent en réalité dans la continuité de celles énumérées précédemment. Pierre-Louis Matthieu (2) met en exergue dans son article l’influence des miniatures persanes et indiennes qu’il observe au cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale, ou encore les émaux, ou même les estampes japonaises. Cette combinaison d’influences orientales est à son paroxysme dans son œuvre Jupiter et Sémélé, qui se présente réellement en rupture avec tout ce qu’il avait fait auparavant, aussi bien dans le traitement des couleurs, que dans la profusion des détails, ou dans la signification spirituelle de l’œuvre-même. En effet, il souhaitait, selon ses propres mots permettre aux hommes et leurs âmes de trouver « toutes les aspirations de rêve, de tendresse, d’amour, d’enthousiasme et d’élévation vers les sphères religieuses » (1) avec donc une volonté d’ascension, de la sphère terrestre vers un espace paisible, olympien, qui est représenté ici comme une utopie.

Gustave Moreau, Jupiter et Sémélé, huile sur toile, 1896

(1) MOREAU Gustave, L’Assembleur de rêves. Écrits complets, P.-L. Mathieu éd., Fata Morgana, Montfroide, 1984
(2) MATHIEU Pierre-Louis, « MOREAU GUSTAVE (1826-1898) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 13 février 2016.
URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/gustave-moreau/