La postérité de Gustave Moreau

La postérité de Gustave Moreau est assez controversée, quand on pense déjà à la réception de ses œuvres de son vivant. En effet, il présenta régulièrement ses œuvres au Salon et certaines furent appréciées comme Œdipe et le Sphinx en 1864, qui présente, selon les critiques de l’époque, tous les traits caractéristiques de la facture du peintre (1). Mais en 1869, le rejet de ses œuvres Prométhée et Jupiter et Europe le fit prendre de la distance face à ce système d’évaluation des œuvres et il s’isola dans son atelier. Il convient de voir apparaitre le second aspect de la mémoire de Moreau, qui peut être vu aujourd’hui comme un artiste solitaire, renfermé ; mais cet état d’esprit a été alimenté par Moreau lui-même, qui est sans doute le premier à avoir construit sa réputation, ainsi que sa notoriété posthume. Tout d’abord, il entretenait cette image d’artiste retiré en faisant le moins d’apparition possible en public et en ne vendant que très peu de ses œuvres aux particuliers. Comme l’exprime Pierre-Louis Mathieu, tout ceci contribua à « créer autour de lui la légende d’un solitaire reclus dans sa maison de la rue de La Rochefoucauld à Paris » (1).

Gustave Moreau, Œdipe et le Sphinx, huile sur toile, 1864
Gustave Moreau, Prométhée, huile sur toile, Musée Gustave Moreau
Gustave Moreau, Jupiter et Europe, huile sur toile, Musée Gustave Moreau

De la même manière, c’est lui seul qui prépara sa gloire posthume en décidant la mise en œuvre de son propre musée. Comme l’explique Isabelle Chenu (2), journaliste culture, il organisa trois ans avant sa mort, en 1895, la transformation de son hôtel particulier en musée « afin d’y conserver 25 000 œuvres ». Moreau décida ainsi de mettre en valeur son travail, notamment en agrandissant son atelier pour y placer ses œuvres en vue de la mise en place du futur musée, comme le précise Marie-Cécile Forest, directrice des lieux. Gustave Moreau a donc été acteur de sa notoriété et travailla lui-même à sa renommée actuelle.

Ensuite, on peut déceler la postérité de Moreau dans le travail de ses élèves. En effet, il a été professeur à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris de 1892 à sa mort en 1898 ; et cette position de pédagogue le plaça favorablement pour faire passer ses théories, sa vision de l’art qui était très particulière et notamment très mystique. Mais il n’en demeure pas moins qu’il laissait une très grande liberté à ses élèves, refusait de leur montrer ses œuvres, afin de ne jamais les influencer (1). Ainsi, en travaillant à développer « les qualités innées de ses élèves », il fut l’instigateur du mouvement fauvisme parmi lequel on retrouve Henri Matisse, Albert Marquet, Henri Manguin, Charles Camoin, ou encore Georges Rouault, dont chacun passa entre les mains de ce maître sensible qui voulait avant tout leur transmettre « l’imagination de la couleur », ce maître, à la fois acteur et assujetti à sa propre postérité.

Ainsi, Gustave Moreau, dès ses premiers pas dans le monde de l’art, fut inquiet de sa postérité comme le montre une de ses lettres de 1862 où il écrit « Je pense à ma mort et au sort de mes pauvres petits travaux et de toutes ces compositions que je prends la peine de réunir ». Cela confirme qu’il travailla toute sa vie à construire sa gloire posthume, qu’il voulait certaine, et assura ainsi son entérinement dans l’Histoire de l’art (3). Mais malgré l’image qu’il s’était construite d’artiste maudit, il était très admiré de ses contemporains, comme Edmond de Goncourt, qui écrivait que ses « « aquarelles d’orfèvre-poète semblent lavées avec le rutilement, la patine des trésors des Mille et Une Nuits » (1) ; des poètes comme José Maria de Heredia ou Théodore de Banville transposèrent certaines de ses œuvres en poésie ; ou encore, le grand Marcel Proust qui, après avoir réalisé des articles dans sa jeunesse, qui célébraient la facture du peintre, son travail du coloris et le dynamisme mystique de ses toiles, lui rendit hommage en décrivant l’un de ses tableaux dans son ouvrage A la recherche du temps perdu (4).

(1) Pierre-Louis MATHIEU, « MOREAUGUSTAVE – – (1826-1898) », Encyclopædia Universalis [en ligne], http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/gustave-moreau/ (consulté le 23/03/2016)

(2) CHENU Isabelle, « La maison-musée du peintre Gustave Moreau a retrouvé son éclat », Radio Française Internationale, [en ligne] http://www.rfi.fr/france/20150319-maison-musee-gustave-moreau-retrouve-son-eclat (consulté le 23/03/2016)

(3) LAUTREAMONT Agathe, « Ateliers d’artistes devenus musées (épisode 4) : le musée Gustave Moreau », Exponaute, [en ligne], http://www.exponaute.com/magazine/2016/01/21/les-ateliers-dartistes-devenus-musees-episode-4-lhotel-particulier-de-gustave-moreau-a-paris/ (consulté le 23/03/2016)

(4) PROUST Marcel, Contre Sainte-Beuve, Editions Gallimard, Paris, 1978, pp. 667-674, http://musee-moreau.fr/sites/musee-moreau.fr/files/dossier_de_presse-musee-gustave-moreau_0.pdf (consulté le 23/03/2016)