Le printemps est arrivé chez Böcklin!

Rien de mieux en cette période printanière que de nous pencher sur une oeuvre d’Arnold Böcklin peu connue du grand public a l’instar de la série de l’île des morts (1880-1886) qui a fait connaitre l’artiste mondialement.

Arnold Böcklin personnifie ici un thème qu’il affectionne tout particulièrement : le printemps. Ce thème a une place importante dans sa production artistique au cours de ses années florentines à partir de 1874.

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Arnold Böcklin, Le Réveil du Printemps, huile sur toile montée sur bois, 1880, Zurich, Kunsthaus

Nature et personnages sont mêlés dans ce tableau de format horizontal. Cette oeuvre s’articule d’une façon très intéressante. Trois parties semblent se dessiner quand on le regarde. Une première partie tout à gauche où une certaine créature chimérique du nom de Pan (divinité de la nature) joue de la syrinx (la flûte de Pan). Derrière lui nous pouvons apercevoir une jolie créature du nom de Flore (reconnaissable aux fleurs qu’elle a sur elle) qui parsème l’étendue d’herbe de fleurs.

Au centre de la composition notre regard est attiré par le ruisseau, nos yeux le suit pour se fixer par la suite sur les arbres et l’horizon montagneux au loin. Tout à droite de la composition, nous avons deux belles nymphes vêtues de drapés semi-transparents. Elles sont en contact  physique avec les arbres, semblent se reposer dessus. Cela marque leur lien avec la nature, leur lien avec les bois ici en l’occurence. Les nymphes sont des créatures qui habitent la nature et accompagnent les dieux , ici elles accompagnent Pan.

Les personnages dans cette composition attisent notre curiosité en tant que spectateurs. Ils nous paraissent étranges, intriguants non seulement par leur taille disproportionnée par rapport aux arbres environnants mais également par le fait qu’ils paraissent être fantomatiques. Ils habitent la composition, sont présents dedans mais nous semblent toutefois absents. Leur regard se détourne de nous. Ils ne cherchent pas à communiquer avec le spectateur en face. Ces personnages sont dans leur élément qui est la nature, ils sont en osmose avec. Voilà peut être pourquoi ils ne cherchent pas à nous amener dans le tableau.

Les personnages mythologiques ici ne sont pas les seuls à fasciner, le paysage également suscite de la curiosité. C’est justement le paysage qui confère au tableau son atmosphère, lui donne un ton si particulier. De la clarté et de la fraicheur en émane, on pourrait presque sentir le doux vent qui déplace les nuages ou encore qui agite les drapés des nymphes. Néanmoins, les tons ne sont pas chauds dans cette composition,  ce qui nous donne l’impression que la chaîne des alpes encore quelque peu enneigée que nous pouvons voir au loin dans ce tableau, vient apporter de la fraicheur.

Arnold Böcklin a crée un tableau qui est en parfaite adéquation avec son titre. Le « Réveil du Printemps » est en effet presque palpable, en tant que spectateur nous avons vraiment l’impression qu’il est en train d’émerger. Nous pouvons observer les petites fleurs jaunes poussant ici et là sur l’herbe, de la glace qui fond sur le côté gauche du ruisseau. Le ciel s’éclaircit, l’on passe d’un ciel gris presque noir qu’on pourrait qualifier d’orageux à un ciel bleu profond amenant le soleil. On sent l’avènement du printemps comme un véritable renouveau joyeux et lumineux. C’est par la pratique du clair-obscur qu’Arnold Böcklin donne cette atmosphère au tableau.

Notre artiste avait également donné une atmosphère toute particulière par le même usage du clair obscur dans son tableau Soirée de printemps (1879). Le ciel bleu profond y est parsemé de nuages gris clairs ce qui ajoute de la luminosité au tableau. La composition est également la même, un ruisseau est placé au centre et l’horizon est très bas.

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Arnold Böcklin, Soirée de printemps, huile sur bois, 1879, Budapest, Szepmüveszeti Museum

Ce qui est intéressant de remarquer c’est que nous avons un tableau en mouvement, comme en mutation quelque part avec « Le Réveil du Printemps ». On passe de l’hiver au printemps ici. Cependant, les personnages eux ne sont pas en mouvement, ils sont aussi ancrés dans le sol que les arbres à leurs racines sous terre, même Pan qui joue pourtant de sa flûte ou Flore qui lance des fleurs, paraissent être enracinés.

Quand on regarde notre tableau, historiens de l’art ou non, on peut y voir une allusion au Printemps de Sandro Botticelli (1485-1487). Est-ce une coïncidence? Bien au contraire! Arnold Böcklin est allé s’inspirer du très célèbre tableau de cet artiste italien. Ce tableau a été pour lui une source d’inspiration très riche et féconde qui va l’amener à produire par la suite l’oeuvre que nous analysons ici. Quelques éléments sont similaires, par exemple, les personnages sont de grande taille, le paysage revêt d’un aspect théâtral , des personnages mythologiques sont présents.

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Sandro Botticelli, Le Printemps, 1485-1487, tempera sur panneau de bois, Galerie des Offices, Florence

Pour conclure, nous pouvons voir dans Le Réveil du Printemps (1880)  un hommage à Hans Von Marées. Böcklin avait admiré Les Hespérides à Rome dans une première version qui est perdue aujourd’hui. Ce tableau représente des nymphes nues debout au milieu d’arbres clairsemés et cela n’est pas sans nous rappeler les nymphes qui habitent dans notre tableau et adoptent presque la même attitude.

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Hans von Marées, Les Hespérides, 1884, Neue Pinakothek, Munich

 SCHMIDT Katharina, LENZ Christian, Arnold Böcklin (1827-1901),Paris, Parsi : réunion des musées nationaux, 2001, 376p.

 Vic.H